Anne Blanchet

Céline Eidenbenz

L’œuvre d’Anne Blanchet ouvre des portes et brise des frontières. Inspirée par l’art minimal et conceptuel des années 1960 qu’elle découvre durant un séjour aux États-Unis, elle partage avec des artistes comme Donald Judd (1928-1994) ou Carl Andre (*1935) des réflexions sur l’espace, une prédilection pour les matériaux industriels et pour l’intervention modeste entièrement dénuée de gestuelle. La banalité apparente de ses installations est une invitation à les comprendre au-delà de leur matérialité et à les considérer par le biais de l’intellect. Proche des théories sur la théâtralité et sur la disparition de l’auteur inhérentes aux œuvres des artistes de cette époque, son travail s’en démarque néanmoins par l’utilisation des technologies de pointe et par la présence du mouvement.

Sa première œuvre mobile, « Portes 97: musique visuelle », est constituée de cinq portes coulissantes en verre qui s’ouvrent et se referment automatiquement à des rythmes différents. Le passage inégal ainsi créé suggère des mouvements alternés d’attirance et de répulsion et nous parle de respirations multiples. Le jeu sur la transparence du matériau ainsi que l’allusion au sens de l’ouïe se retrouvent dans ses Light Drawings, véritables dessins de lumière constitués de plaques de plexiglas dépoli et entaillé sur une largeur de quatre cents microns. Chirurgicale, cette intervention provoque la naissance d’un subtil jeu d’ombres qui se propage au-devant de sa surface et offre l’illusion d’un relief sculpté. La lumière est ici utilisée comme un révélateur de l’espace, un peu comme chez James Turrell (*1943) à qui l’artiste aime se référer.

« Qui dit fermeture dit ouverture », précise Anne Blanchet en présence de « Pont de lumière », son installation permanente à l’Université de Fribourg. Les dix-huit barrières rouges montées sur de hauts fûts rectangulaires interpellent ici le passant qui perçoit la monumentalité de cette passerelle reliant la rue et l’université, la bibliothèque, la cantine et la salle de méditation. Animées par plusieurs chorégraphies au désordre savamment orchestré, ces barrières ouvrent des voies de communication et désignent les obstacles rencontrés et levés au cours de toute étude ou parcours de vie. À la tombée de la nuit, les tubes de néon fixés sur la face inférieure s’allument, comme pour souligner la grande sensualité de cette caresse mentale. L’anémone de mer se fait luciole et éclaire notre passage à travers les frontières.

Céline Eidenbenz in : Artistes à Genève : de 1400 à nos jours, dir. Karine Tissot, Genève, L'APAGe, Editions Notari, 2010, pp. 74-75