BEAUX-ARTS.
L'artiste montre ses «dessins» dans le plexiglas à la Galerie Alice Pauli, à Lausanne. Des oeuvres qui piègent et la lumière et le regard du spectateur.
Tracer une ligne, engendre deux plans. Tirer cette ligne dans une épaisseur crée des volumes mais produit en plus des sensations. C'est la façon de l'artiste genevoise Anne Blanchet de reformuler les fondements de la géométrie et d'exposer en même temps les complicités de l'ombre et de la lumière. Ses réalisations sont à la fois d'une sobriété diaphane et d'une magie voluptueuse.
De loin, le visiteur de la Galerie Alice Pauli à Lausanne, où sont présentés ses Dessins de lumière, suppose de fins voilages tendus sur châssis. De près, il ressort que le matériau est une plaque épaisse de trois centimètres de plexiglas, opaque, où l'oeil capte l'éclair bref et noir d'une entaille. Une ligne, d'un dixième de millimètre de largeur, qu'Anne Blanchet a incisée […] dans la masse. Cette faille rompt la diffusion de la lumière, rendant celle-ci plus sombre au-delà de la fente. L'artiste a du reste taillé plusieurs de ces fentes dans une plaque, les organisant pour suggérer le chambranle d'une porte, l'encoignure d'un plafond, les marches d'un escalier. Selon que ces plaques reçoivent la lumière d'un côté ou d'un autre, ces «dessins» ont des perspectives inversées.
Pareillement, le spectateur est amené à revenir sur ses perceptions, à glisser de la fascination aux interrogations. Il se laissait envahir par une atmosphère tranquille, méditative; le voilà gagné par le doute. Ce qui paraissait simple, évident, est devenu troublant. L'oeil, par exemple, enregistre que ce qui sépare le net du diffus est parfois infime.
Anne Blanchet a une habileté certaine pour emmêler l'intellect, l'affect et le matériel. En les prenant chacun à rebours. Ainsi ces blocs de plexiglas, robustes et lourds, qu'elle suggère légers, impondérables. Ainsi de la lumière environnante, impalpable, qu'elle rend consistante dans un espace clos. Comme il en va de la transformation de la rigueur géométrique en une variable malléable, souple, changeante. Comme il suffit d'un flou entre une nappe d'ombre et une de lumière pour voir une ligne inexistante. En fait, la subtilité de la démarche d'Anne Blanchet est de se limiter à ne donner qu'un coup de pouce à ce qu'on imaginerait idéalement, à ce qu'on aimerait bien entendre.