Anne Blanchet Lauréate du Prix Gustave Buchet

DESSINS DE LUMIERE ET MUSIQUES VISUELLES

Le prix distingue le beau travail méditatif de la Vaudoise de Genève. Ses travaux de plexiglas et vidéo sont exposés à l’Espace Arlaud à Lausanne.

Les visiteurs des expositions de sculpture de Bex, dans le beau parc Szillassy, ne peuvent pas avoir oublié les pièces superbes et monumentales qu’Anne Blanchet y avait réalisées, en 1996 et 1999, en étroite complicité avec le paysage. Pour la première, elle avait dressé des écrans de verre géants qui cadraient et réfléchissaient la nature environnante, et pour la seconde, elle avait orchestré un étrange ballet de barrières qui s’ouvraient et se fermaient selon un rythme lent et apaisant. Pour l’ensemble de son travail contemplatif et musical, Anne Blanchet vient de se voir attribuer le Prix Gustave Buchet 2000, deuxième lauréate de la Fondation du même nom après Pierre Chevalley il y a trois ans. Heureuse initiative, le Musée des beaux-arts et la Fondation Buchet ont mis en commun leurs efforts et leur intérêt pour la démarche de la Vaudoise de Genève, pour lui consacrer une exposition à l’Espace Arlaud, assortie de l’édition d’un multiple (un « light drawing » sur plexiglas tiré à 15 exemplaires) et prolongée d’un « vidéo-catalogue » avec plaquette incorporée.

Deux séries de travaux y sont présentées en écho : d’une part les dessins de lumière – light drawings – et de l’autre les vidéos des grandes installations récentes. De sa fascination pour les minimalistes américains et pour les « environnements sensoriels » de James Turrell qui sont un peu le big bang de son travail d’artiste( après des études de Lettres), Anne Blanchet a gardé le goût des tensions extrêmes dans un dépouillement radical, tout en exacerbant une implication très physique du corps et des sens. Quand elle pratique avec une précision toute chirurgicale des incisions fines comme des cheveux dans des plaques de Plexiglas aux blancheurs laiteuses, elle dessine véritablement avec la lumière. Quelques tailles infimes, une géométrie minimale, et voilà que des reliefs se soulèvent ou s’enfoncent, au gré des plus infimes modifications d’éclairage. La lumière devient alors presque palpable, et pourtant fuyante et sans fond, se perdant dans les profondeurs opalescentes et quasi immatérielles du Plexiglas.

A propos de ses grandes pièces en trois dimensions, Anne Blanchet aime parler de « musique visuelle ». Non pas juste pour faire un joli titre, mais bien parce que c’est la musique contemporaine qui nourrit ses recherches (Cage, Feldmann, Takemitsu, etc.) et que c’est à la manière d’un compositeur qu’elle écrit à l’ordinateur les partitions qui règlent les rythmes et les enchaînements fluides de ses mouvements. Comme dans cette vidéo sonorisée où l’on voit en enfilade cinq portes vitrées coulissantes qui s’ouvrent et se ferment alternativement, à des cadences apparemment aléatoires et pourtant rigoureusement réglées pour produire une déclinaison de respirations plus ou moins haletantes ou apaisées. Chorégraphe de la lumière et des pulsations, elle nous prend à la fois par les sens et par l’intellect, et nous embarque dans une méditation rêveuse qui scande l’écoulement du temps au gré de combinaisons rythmiques quasi illimitées, et étire l’espace à l’aune infinie de la lumière.

Françoise Jaunin ( 24 HEURES 13.9.00)